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Published: 1 janvier 0101
Résumé:
Depuis quelque dix ans, je n'ai jamais été vers
Sainte-Victoire sans me dire que c'était peut-être la
dernière fois - ou en tout cas la dernière saison :
il suffit d'un col du fémur cassé, ou d'une fatigue
au cœur, et il faudra tirer un trait. Or, cette conscience
toujours latente double ma joie, m'aidant à mieux
regarder, afin de mieux me souvenir. Je sais bien qu'aucun
souvenir ne me rendra l'éblouissement de la lumière
ni la fraîcheur du vent. Je sais bien que, lorsque je
penserai plus tard à l'ocre de la terre, je ne reverrai
pas ces contrastes luxueux entre les rouges sombres et les
bruns clairs, entre la discrétion de ces sols couleur de
vieux bois et l'éclat arrogant des terres à bauxite.
Non : cela sera perdu. Mais j'essaie. Et sans doute cette
conscience d'une beauté qui va d'un moment à l'autre
m'échapper est-elle ce qui aujourd'hui m'incite plus que
tout à écrire... Je sais de quoi je parle quand
j'évoque, avec ferveur, les auteurs de la Grèce
classique ; mais je le sais mieux encore quand il s'agit de ces
collines. Je ne suis heureuse que là, et par elles. Je
sais chaque amorce de sentier, et ceux qui aboutiront ou
finiront perdus dans une broussaille impraticable. Je sais
où soufflera le vent, où donnera le soleil, où
chaque fleur aura des chances d'être déjà ou
encore épanouie. Je connais jusqu'aux cicatrices du
paysage : j'ai vu les incendies qui l'ont ravagé et j'ai
vu repousser les jeunes plants, beaucoup moins élevés
que la végétation d'alentour ; j'ai vu les sentiers
devenir des chemins et parfois des routes. Il n'y a que la
permanence de la beauté et son renouvellement qui chaque
fois me surprennent. Jacqueline de Romilly